LIVRAISON GRATUITE en 48H en Belgique pour tout achat à partir de 20€ *

Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

« Le redoublement est totalement inefficace » – Rencontre avec Caroline Désir, Ministre de l’Enseignement obligatoire

Elle est favorable à l’abaissement de l’obligation scolaire à 3 ans, elle trouve le redoublement inefficace et place dans ses priorités la lutte contre les inégalités sociales et la gratuité de l’enseignement. Caroline Désir (PS) est la nouvelle ministre de l’Enseignement obligatoire.
Elle veut porter la voix des enseignants et elle devient la gardienne du Pacte d’excellence dont elle poursuivra la mise en oeuvre. Interview de Didier Swysen avec une quadragénaire (elle a 42 ans) très enthousiaste et très déterminée.

Notre enseignement est cité parmi les plus inégalitaires au monde. Comment changer ça ?

On ne forme pas de mauvais élèves et ils ne sont pas plus bêtes que dans les pays voisins. Mais l’écart entre les très bons et les élèves en décrochage est beaucoup trop important et la corrélation est évidente entre l’origine socio-économique des élèves et le taux de réussite. Je n’ai pas de baguette magique, mais je pense que la méthode (le Pacte) qui a été mise en place est la bonne pour changer cela. Elle a été initiée avec les acteurs de l’enseignement, et c’est la première fois que l’on se donne ainsi les chances de réussir une réforme en profondeur de notre enseignement : il faut élever globalement le niveau de tous les élèves, le statu quo n’est plus acceptable.

On parle depuis longtemps des inégalités, rien ne change ?

Il n’y a pas de fatalité ! Il n’y a pas d’enfants qui ne sont pas faits pour l’école. D’autres systèmes scolaires, en Pologne par exemple, n’avaient pas de très bons résultats et ils ont réussi à changer les choses. Pourquoi n’y arriverions-nous pas ? Le problème, c’est que les inégalités sociales se transforment en inégalités scolaires et on les perpétue : l’ascenseur social que doit représenter l’école est en panne. 28% des élèves quittent le secondaire sans les connaissances minimales nécessaires pour s’insérer dans la société, c’est catastrophique ! Le lien entre la pauvreté infantile et l’échec scolaire est insupportable. Réparer l’ascenseur social est ma priorité absolue !

Le problème, c’est aussi que des enfants sont rapidement largués, car ils ne maîtrisent pas suffisamment la langue d’apprentissage…

Il faut gommer les inégalités dès le départ et on a d’ailleurs déjà renforcé l’encadrement en maternelles.
Je me réjouis aussi de voir l’âge de l’obligation scolaire abaissé à 5 ans. Je suis favorable à ce qu’il soit porté à 3 ans. C’est une matière fédérale, mais j’entends les mêmes réflexions en Flandre.
Il doit donc y avoir moyen de s’entendre sur le sujet. Bien sûr qu’en maternelles, on a un taux d’inscription qui dépasse les 90 ou 95 %, mais il y a un problème de régularité de fréquentation de l’école, surtout dans les quartiers les plus défavorisés. C’est clair que dans une ville cosmopolite comme Bruxelles, beaucoup d’enfants n’ont pas le français comme langue maternelle. Ces trois années sont importantes pour se familiariser avec la langue, pour ne pas constater des lacunes dès le début des primaires.
Mais bon, en attendant, on va déjà mettre en oeuvre l’obligation scolaire à 5 ans.

Cela ne suffira pas à ne plus être les champions du monde du redoublement ?

Dans le Pacte, il est prévu de la remédiation, des heures mises chaque semaine à l’horaire. Il y aura de l’encadrement personnalisé, du travail en petits groupes.
L’idée est un accompagnement au plus près des difficultés des enfants. Le problème, on n’a jusqu’ici jamais donné les outils aux enseignants de faire un autre choix que celui du redoublement. Mais le redoublement est inefficace sur le plan pédagogique : cela mine la confiance en soi des élèves pour toute leur scolarité.

Vous voulez interdire le redoublement ?

Non. Juste le décréter ne sert à rien. Il faut donner des outils aux enseignants. Regardez ce qui se passe en 1re secondaire. Le redoublement n’existe pas, mais il y a une recrudescence d’échecs en 2e secondaire. Je sais que c’est ancré dans nos mentalités, même si le sujet est un peu moins tabou qu’avant. On pense que redoubler mettra du plomb dans la cervelle d’un élève, c’est le contraire. Même s’il réussit l’année qu’il aura approfondie, les ennuis reviendront ensuite. Les études le montrent : l’enfant que l’on va laisser évoluer dans son groupe d’âge en l’accompagnant s’en sortira mieux que celui que l’on fera redoubler. Pendant sa scolarité et sa vie professionnelle.

C’est l’approche du Pacte : retravailler sur un autre parcours des élèves, polytechnique, qui fera appel à d’autres intelligences (techniques, artistiques…) et où l’accompagnement sera renforcé. Un autre exemple : dans la formation initiale des enseignants, un demi-jour est consacré à la détection des troubles d’apprentissage (dyslexie, etc.) alors que c’est primordial de s’en rendre compte avant qu’ils ne s’installent et conduisent l’enfant à l’échec.

La réforme de la formation initiale est reportée d’un an. Ce n’est pas une bonne nouvelle…

C’est embêtant, car c’est lié à la réussite du Pacte, mais ce n’est pas un abandon de la réforme. Je préfère que l’on prenne un an de plus pour s’assurer de son financement. Les finances de la Fédération ne sont pas au beau fixe. On parle d’une formation qui revalorisera aussi les enseignants. Il y a une vraie attente du secteur.

À terme, avoir le CEB en 6e primaire sera saugrenu.

Le tronc commun va être allongé jusqu’à la 3e secondaire, un parcours commun à tous les élèves. Le certificat d’études de bases (CEB) à la fin de la 6e primaire aura-t-il alors encore du sens ? « Dans cette logique, il apparaîtra saugrenu de le conserver, c’est vrai, alors qu’on sera là à deux tiers du tronc commun », répond la ministre. « Mais ce nouveau tronc commun, qui sera implémenté l’année prochaine en maternelles n’arrivera pas en 6e primaire avant quelques années.
Le CEB marque donc toujours un passage entre les primaires et les secondaires. On garde donc pour l’instant son caractère certificatif.
Pour le reste, je ne veux pas préjuger de son avenir, ce n’est pas dans la déclaration de politique communautaire en tout cas… »

Trop facile ?

Un CEB qui serait trop facile. Faudrait- il passer de 50 à 60% pour obtenir une attestation de réussite ? « Ne posons pas le débat comme cela. On ne peut mesurer l’état de notre enseignement à un taux d’échec. Moi, ce qui m’interpelle, c’est la dégringolade entre le taux de réussite au CEB et celui du CE1D en 2e secondaire. On passe d’un coup de 90 à parfois 50 %. Là, il y a un problème. Je n’imposerai donc pas les 60 %, mais il faut sans doute adapter les choses, faire en sorte que l’enseignement primaire et le secondaire se parlent plus, travailler sur les transitions entre les deux (…) Il faut sortir de cette réflexion qu’un prof qui buse est un bon prof, qu’une école avec un taux d’échec plus important est une école sérieuse. Élever le niveau d’exigence pour faire rater plus d’élèves, je ne pense pas que ce soit intéressant. Nos élèves n’ont aucune raison d’être plus bêtes que ceux des pays voisins… »

Un enfant qui vient à l'école sans manger, ça existe.

La gratuité est une autre priorité de la nouvelle ministre de l’Enseignement.
Mais n’est-ce pas une utopie avec un budget aussi largement déficitaire que celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles (plus de 600 millions de déficit) ?
« Je ferai d’abord remarquer que le financement du Pacte est garanti sur la base d’une trajectoire pluriannuelle. Ensuite, la gratuité, ce n’est ni une mesurette, ni un gadget du PS », affirme Caroline Désir. « Quand Paul Magnette a été le premier à proposer des repas scolaires gratuits, il a été raillé. Échevine de l’Enseignement à Ixelles, plutôt une commune riche, j’ai vu les difficultés sociales dans certaines écoles. J’ai aussi été très marquée par le rapport du délégué général aux droits de l’enfant sur la pauvreté infantile : les enfants qui viennent à l’école sans manger ou n’ont rien à manger à midi, c’est la réalité quotidienne. Or, on ne peut imaginer qu’un enfant puisse travailler normalement le ventre vide, surtout en pleine croissance. Il est donc important de mettre tous les enfants sur un pied d’égalité, c’est important et c’est une mission de l’école. »

Cantines

La gratuité de l’enseignement, c’est quand même plus vite dit que fait ? « On ne pourra pas tout rendre gratuit du jour au lendemain, c’est une évidence. On vient de le faire pour les fournitures en maternelles, mais il faut un calendrier et y aller progressivement.
Pour les cantines scolaires, grâce à Isabelle Simonis, on en est à 12.000 repas gratuits chaque jour. On veut l’étendre à tout l’enseignement fondamental (…) On a commencé par les écoles à encadrement différencié, car elles regroupent le public le plus pauvre. La Ligue des familles vient encore de montrer que les enfants des familles pauvres sont parfois stigmatisés (non-remise du bulletin, car les parents n’ont pas payé tout ce qu’ils devaient). C’est inacceptable. »

Un rythme de 7 semaines de cours suivies de 2 semaines de congés me semble aller dans le bon sens.

Marie-Martine Schyns a fait progresser le débat sur les rythmes scolaires annuels et sa successeure veut faire bouger les choses. « Un rythme de 7 semaines de cours suivies de 2 semaines de congés me semble aller dans le bon sens. On voit parfois des profs et des enfants sur les genoux après de trop longues périodes de cours et 9 semaines de vacances en juillet-août, ce n’est pas simple à gérer pour les parents. Rien n’est décidé, mais il faut avancer dans ce dossier et mettre en musique l’organisation que cela suppose. Tout pousse à choisir cette direction. »

Et la journée d’école ?

La nouvelle ministre veut aussi faire bouger le rythme de la journée d’école. « C’est encore plus compliqué à gérer et à organiser, mais on ne va pas renoncer pour autant à ce chantier, car c’est clair qu’il y a des baisses de régime chez les enfants en fonction des moments de la journée. Il y a des pays où l’après-midi est consacré à des activités sportives ou culturelles. Je ne dis pas qu’il faut le faire chez nous, mais il faut se laisser la liberté de réflexion (…)
Je sais aussi qu’il y a chez les enseignants l’impression qu’on leur en demande toujours plus. Je comprends cela, il faudra donc voir comment articuler tout cela. Je veux aussi avancer sur ce chantier. »

 

Propos recueillis par Didier Swysen.

Source : La Capitale, 28 septembre 2019, pp. 2 et 3.

Retour en haut

Avant de partir...

Rejoignez le Club !

Inscrivez-vous à la lettre d’information Je Réussis pour être tenu informé des prochaines promotions.