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« Pour une pédagogie humaniste » – La carte blanche de Christophe Mounier

Parmi les divers métiers que j’ai exercés dans ma carrière, j’ai pratiqué celui d’enseignant plus de 20 ans durant, en explorant à peu près toutes les facettes de ce métier un peu à part. De mon expérience, basée entre autres sur mes pratiques de

- professeur dans plusieurs établissements dits alternatifs (d’autistes à hauts potentiels),

- formateur dans le secteur de l’insertion

- chef de service éducatif dans une institution médico-sociale,

- précepteur particulier d’une sportive de haut niveau

- responsable de niveau en lycée

- consultant pour l’organisme scolaire Allocours,

il en ressort les éléments suivants :

En premier lieu, il ne faut pas dramatiser : l’école convient, et heureusement, à la majorité des enfants. En dépit de petits accidents de parcours toujours possibles, ils s’y épanouissent globalement, se socialisent, acquièrent les notions de base, développent une certaine culture ainsi que le goût de l’effort. Pour les meilleurs d’entre eux – non pas d’un point de vue strictement intellectuel, mais au niveau de leur faculté à jouer leur rôle d’apprenant -, c’est même un excellent vecteur de confiance en soi, un incontestable moyen de valorisation de l’image narcissique : rien de plus gratifiant que de montrer à ses parents la bonne note obtenue, d’être complimenté par eux parce qu’on a obtenu les félicitations, ou encore de jouer les faux modestes quand tout le monde vous congratule pour votre réussite à tel examen.

Mais il y a les autres… Certes, moins nombreux, mais pour qui le scolaire est synonyme de souffrance ou au moins de difficulté, et ce n’est pas forcément une question de neurones, plutôt de capacité à affronter le regard des autres, à se confronter au groupe, à montrer ses limites de manière publique.

Déjà, si l’on se situe sur le simple plan du handicap physique, un progrès considérable a été accompli dans la matière. Depuis 2005, et même si les choses ont été longues à se mettre en place (il a fallu réhabiliter voire démolir et rebâtir nombre de bâtiments qui n’étaient pas aux normes), on peut dire que dans l’ensemble un jeune qui souffre d’une infirmité corporelle a aujourd’hui la possibilité d’être accueilli quasiment partout, la création de postes d’AVS étant bien entendu un plus non négligeable dans cette optique.

Il s’agit davantage du versant psychique : pour ceux qui ont un faible QI, et qui relèvent de ce fait de la MDPH, il existe des solutions telles que la SEGPA, l’EREA et autres structures adaptées ; pour les précoces, là encore, on commence à ouvrir des classes spécifiques, même si la chose demeure pour l’instant fort insuffisante au regard de la population concernée ; enfin, pour ceux qui sont atteints de troubles du comportement ou de la personnalité, des services, ambulatoires ou même en internat, peuvent les prendre en charge avec une équipe pluridisciplinaire pour les accompagner sur tous les plans.

Tout cela constitue un progrès indéniable : ce n’est plus aux enfants de faire la preuve qu’ils sont capables d’intégrer le milieu scolaire, c’est à ce dernier qu’il revient de montrer qu’il peut accepter tout le monde sans discrimination et avec profit.

Pourtant, on trouve une dernière catégorie d’élèves, pour qui rien n’est prévu, ou presque, et c’est là-dessus que je souhaiterais m’étendre, car c’est une cause qui me tient à cœur :

ceux qui sont en échec sans qu’on puisse vraiment en expliquer les motifs ; leur relation à la scolarité, aux professeurs et aux camarades est source de stress, de conflits et de mal-être. Ils éprouvent des difficultés telles que les dispositifs existants d’aide et de remédiation pratiqués dans les établissements classiques ne peuvent apporter des réponses adéquates à cette authentique inadaptation à l’école – alors même qu’ils sont normalement équipés sur le plan cognitif.

Que faire avec ces jeunes pour qui les apprentissages sont des « combats perdus d’avance », qui identifient le travail à une torture, et échouent bien malgré eux sur des tâches pourtant faciles ?

Deux possibilités : ou bien les faire rester chez eux, auquel cas il faut une disponibilité parentale des plus importantes, et la présence si possible d’un enseignant de confiance, chaleureux, bienveillant, polyvalent qui plus est. Bien sûr, il existe des apprentissages à distance, comme le CNED, mais même l’intervention d’un professeur par écran interposé ne remplace jamais le face à face individuel, pour des raisons relationnelles évidentes. Cela peut entraîner quelques problèmes, par exemple un sentiment de solitude et de séparation d’avec ses pairs, une jalousie de la part de la fratrie, et il est sûrement moins évident de passer ensuite des examens en candidat libre. Cela dit, j’ai vécu ce cas de figure, et la fille que j’ai suivie pendant une année est ensuite passée en terminale dans un lycée (après concertation entre tous les acteurs du processus) et a brillamment obtenu son bac. Je dois à l’honnêteté de dire que c’était pour des raisons sportives et non psychologiques, mais j’ai eu aussi connaissance d’adolescents pour qui cette parenthèse s’avérait salutaire, la pause effectuée à domicile leur permettant de reprendre leurs esprits et de faire baisser une pression difficile à supporter. Autre exemple, j’ai eu également comme élève une certaine Maud Fontenoy, militante écologiste convaincue, qui avait passé la majeure partie de son enfance sur un bateau en compagnie de ses parents et de son frère. Là encore, après un ou deux mois de réadaptation, le retour aux cours collectifs s’est fait avec succès.

Mais il est clair que nombre de familles ne peuvent, ou ne veulent, garder leur enfant chez eux, alors même qu’aucun établissement n’arrive véritablement à les prendre en charge… Il ne faut jeter la pierre ni aux uns ni autres : pas facile de s’occuper d’enfants qui ont une estime de soi très dégradée, les nerfs à fleur de peau et une anxiété omniprésente. Immatures, ils manquent de repères sur tous les plans, ont du mal à communiquer, par écrit ou par oral, sont hyperactifs ou au contraire inhibés, éprouvent de la méfiance vis-à-vis des adultes, ont de vraies difficultés de mémorisation, de compréhension, de lenteur. En outre, ils accumulent les dys (calculie, lexie, graphie, praxie…). Bref, ce ne sont pas des « élèves », au sens littéral du terme.

Je fais partie de ces éternels optimistes qui pensent que ce constat de départ n’est assurément guère encourageant, mais qu’il n’est ni absolu ni définitif. Pour ce faire, il faut donc proposer à ces êtres meurtris une rencontre avec l’école plus heureuse que celle qu’ils ont connue jusqu’à présent, de les accepter comme ils sont et de les accompagner en demeurant à leurs côtés.

Ces jeunes en perdition doivent apprendre à saisir la main tendue, à tisser un lien de confiance, en échange d’une bientraitance permanente.

De tels lieux, il en existe bien peu. La plupart du temps, les professeurs identifient les performances de l’apprenant à sa personne même, et les qualificatifs qu’ils utilisent sont de nature à le « casser » parfois durablement.

J’ai travaillé dans un établissement qui recevait de tels élèves : quel changement par rapport à la pédagogie traditionnelle !

Pas de notes, du coup moins d’angoisse, plus besoin de tricher, et puis et on s’intéresse davantage à la matière qu’aux résultats chiffrés. De plus, l’enseignant n’apparaît plus comme celui qui pénalise, juge et sanctionne : il retrouve son rôle de pédagogue, au sens étymologique du terme, « celui qui chemine avec ».

Cela signifie en retour pour eux accepter les conseils et les observations des professeurs, faire le travail demandé – ce qui n’implique pas pour autant de le réussir. Il y a obligation de moyens, pas de résultats.

En échange, la coopération de l’élève doit être totale : même s’il y a des paramètres sur lesquels il n’a aucun pouvoir, il en est d’autres qu’il peut tâcher d’atténuer, voire de maîtriser (agitation, manque de participation, bavardage, problème d’organisation, absence de travail personnel, insolence le cas échéant…). Il doit aussi se montrer sincère, ne pas craindre qu’on lui veuille du mal, reconnaître ses fragilités, voire ses bêtises.

Cette authenticité est bien entendu indispensable pour le garçon comme pour l’enseignant : on ne peut exiger quelque chose si nous-mêmes nous ne donnons pas le bon exemple au quotidien.

Le contenant doit primer sur le contenu, afin de créer un cadre structurant, mais suffisamment épanouissant et chaleureux pour que les élèves ne s’y heurtent pas frontalement. Les adultes les accompagnent dans tout ce qui est organisation, aussi bien pour le travail que pour leur propre matériel ou la gestion de leur prise de parole, mais aussi dans leur savoir-être et dans l’acquisition des méthodes. De leur côté, ils ont des règles à suivre, des rituels à respecter qui les posent, les rendent psychiquement disponibles tout en instaurant un climat d’ordre et de sécurité. C’est compliqué pour eux, implique de leur part des efforts, mais apporte à chacun la rigueur nécessaire pour gagner en autonomie, pour se construire et se socialiser, dans l’optique de leur avenir.

S’il y a sanction, elles ne sont ni bêtes ni méchantes. La réponse est toujours appropriée et éducative, par exemple un TIG ou une réparation envers un camarade. Et si au contraire le jeune progresse, s’apaise, pacifie ses relations, on n’hésite pas à lui mettre un mot positif, ce qui change du feed-back systématiquement négatif des autres écoles…

On étaye leurs apprentissages, en mettant à disposition le cahier du professeur si pour une raison ou une autre ils n’ont pu copier le cours, on établit des codes couleurs pour qu’ils s’y retrouvent plus facilement, par exemple en identifiant clairement les cahiers de chaque matière. Sont aussi prévus du tutorat, des ateliers artistiques, des études quotidiennes animées par un conseiller d’éducation ou un enseignant pour les aider à gérer leur travail personnel.

Autre élément de cette « politique » scolaire : l’absence de travail à la maison. Avant, c’était l’enfer, le stress s’ajoutait au stress, les devoirs étaient une source de conflits sans fin, et ces moments pénibles pour ne pas dire plus achevaient de leur faire détester l’école. Les parents retrouvent leur statut de base, ils doivent apprendre à lâcher prise, à ne plus jouer aux gardes-chiourmes, à ne plus payer de répétiteur plus ou moins compétents, voire à faire eux-mêmes le travail. C’est l’établissement qui prend en charge les tâches scolaires. Chez lui, l’élève redevient un enfant et retrouve une vie de famille sereine ; il écoute toujours de la musique, rêvasse, est devant son écran, mais sans manuel ouvert sur son bureau…

 

Sur un plan plus spécifiquement pédagogique, pour améliorer l’implication des élèves, les remotiver et donner du sens aux apprentissages, les professeurs recourent là encore à des stratégies motivationnelles : varier les supports, photos, vidéos, objets divers…, afin de tenir compte de leurs profils cognitifs respectifs et rompre la monotonie du cours, faire preuve de créativité en proposant des défis ludiques, des devinettes, des anecdotes, des exercices à trous, des mises en situation concrètes : l’accrochage scolaire n’est possible que si leur intérêt est constamment stimulé.

Par ailleurs, le programme académique est suivi « dans les grandes lignes ». Cette souplesse permet d’insister sur les bases et de ne jamais hésiter à faire des retours en arrière en cas de besoin. On va plus lentement, on procède par étapes, on cerne les priorités, on détaille les consignes, on définit avec eux les mots-clés, et on pratique une pédagogie différenciée.

On cherche aussi à aplanir leurs difficultés dans le passage à l’écrit qui, pour certains, va jusqu’à la phobie, en appréciant leurs productions sur d’autres critères que l’orthographe ou la syntaxe, pour montrer à ces blessés du verbe que parfois, écrire peut rimer avec plaisir.

La mise en œuvre d’un tel projet est évidemment lourde à mener mais in fine devient également un lieu d’éducation pour les adultes qui y travaillent !

N’importe qui au fond peut dispenser des cours, il suffit pour cela d’avoir le bon diplôme. J’en ai passé plusieurs pour ma part, entre autres afin de ne pas être identifié à une matière, et de pouvoir faire des liens entre chacune. Mais l’enseignement pour moi c’est encore bien plus : c’est s’occuper en priorité de ceux dont nul ne veut plus - tâche exigeante, prenante, mais créative et passionnante, un peu comme une partie d’échecs : mettre en place des stratégies, anticiper, être vigilant, ne jamais tomber dans la routine… Notre bonheur passe par celui des enfants accueillis : redonner confiance à ces jeunes qui échouent sans le vouloir, leur montrer que rater ne fait pas d’eux des ratés, les réconcilier avec l’école, leur donner une nouvelle impulsion permet d’enrichir nos pratiques : on apprend autant d’eux qu’ils apprennent de nous. Etre des adultes référents qui restaurent l’estime personnelle de ces anorexiques du scolaire pour qu’ils puissent enfin se restaurer au banquet de la connaissance.

Voilà ce qui, pendant toutes ces années, a fondé ma motivation et ma patience : je me suis toujours considéré comme un professionnel de l’espoir. Et si j’ai quitté l’Education Nationale, c’est notamment parce que même si l’idée du collège unique semble à peu près obsolète, on ne nous donne pas vraiment les moyens de faire un enseignement centré sur la personne de l’élève, qui prenne en compte des dimensions autres que pédagogiques, alors même que les inspecteurs sont toujours ravis d’encourager les initiatives personnelles et chronophages…

 

 

 

 

 

 

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